<aside> ❓ Ce manifeste présente une démarche d’activité alternative du point du vue de ceux qui fabriquent des applications numériques. Aussi, ce texte repose sur notre désir de travailler à d’autres finalités que la recherche du profit.

L’objectif de ce texte est de présenter notre ambition en tant que structure sur son objet d’intervention (le numérique) et de son ambition (travailler des alternatives).

Ce texte est également un plaidoyer plus général en faveur d’une réappropriation de la question productive par celleux qui s’opposent au capitalisme. L’action politique dans le champ de la production est déterminante pour construire une perspective désirable à la société capitaliste qui puisse être vécue positivement comme un projet de vie en tant que tel, et non pas simplement comme une lutte désespéré contre Goliath.

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L’alternumérique

Nous sommes une alternative

Que signifie de se revendiquer alternatif ? Dans notre contexte, ce mot renvoie à la proposition politique de concevoir différemment le système de production et de consommation. Notre vision de l’alternative s’oppose en effet à la manière conventionnelle de produire quant aux finalités induites par le capitalisme.

Néanmoins, les alternatives n’ont pas toujours bonne presse, y compris parmi celleux qui pourraient les désirer le plus ardemment. Les promoteurs des alternatives peuvent espérer remplacer le capitalisme par petits bouts épars, en venant en grignoter l’hégémonie jusqu’à constituer une nouvelle force à terme. Et certains le croient, d’autres fustigent les alternativistes, accusés de naïveté. Pour nous, une alternative n’a de toute manière pas cette fonction.

Une alternative est une expérience visant à démontrer qu’un mode de production comme le capitalisme est une convention qui ne repose sur rien qui ne soit contestable, donc que l’on peut produire autrement. Cela ne veut pas dire produire parfaitement, ni bouleverser l’ordre social économique, ni faire la couse à la radicalité. Il s’agit simplement d’ouvrir le champ des possibles.

Les alternatives, en contexte capitaliste, sont vouées à tenir le rôle du faire-valoir. Elles n’ont pas la fonction ni le pouvoir de remplacer le modèle auquel elles s’opposent. L’agriculture biologique, respectueuse des sols et de la biodiversité, ne peut remplacer l’agriculture intensive agrochimique par submersion de ses produits dans les supermarchés, même avec les meilleurs intentions du monde. Elle est plutôt une concurrente « vertueuse » qui s’additionne et s’intègre à l’offre conventionnelle. Mais la vertu ne sauvera pas le monde.

Cet état de fait ne nous empêche pas de croire en l’utilité des alternatives, à partir du moment où on ne leur prête pas une fonction qu’elles n’ont pas. Si l’agriculture biologique ne remplace pas l’agriculture conventionnelle, la multitude de pratiques paysannes qu’elle suscite permet de rendre possible une série d’innovations qui ne peuvent, dans tous les cas, advenir du jour au lendemain. Une force politique viendra puiser dans les alternatives pour élaborer une nouvelle convention à mettre en œuvre durant une séquence historique de réforme ou de révolution. En attendant que le politique s’en saisisse, l’alternative peut vivre plusieurs vies, plus ou moins à la marge.

Une alternative a un pied dedans, un orteil dehors. Notre objectif est d’expérimenter d’autres manières de produire pour d’autres finalités que la maximisation d’un taux de profit. Quant au monde d’après, nous ne prétendons pas en posséder la clé, mais peut-être un soupçon de vision.

Nous produisons du numérique

Le numérique est à la fois une culture, une industrie et un marché issu de la prolifération de l’informatique, réalité technique. Les applications sont des marchandises d’une nature particulière, car internet permet au code informatique, substance de l’application, sa mise à jour quasi instantanée. Le code étant constitué d’informations, sa modification est possible à tout moment, contrairement à un produit physique. Cet état de fait modifie en profondeur la manière de produire dans le numérique.

L’agilité est le nom de la norme industrielle adaptée à cette réalité productive du numérique. Il s’agit de fabriquer l’application petit à petit, par mises à jour successives. On peut reprocher beaucoup de choses aux méthodes agiles, mais leurs performances productives sont réelles.

Cette efficacité, mise en contexte capitaliste, participe d’une saturation des applications numériques dans la vie professionnelle et personnelle de tout à chacun. Celle-ci ne va pas de pair avec un accroissement du bienêtre des individus, mais participe à l’aggravation des crises de toute nature qui nous accablent. Alors que le numérique revendique sa capacité à dématérialiser l’économie, il permet au contraire une intensification de l’exploitation du travail et des ressources naturelles pour la seule maximisation du profit de quelques grandes entreprises.

Ces méthodes agiles reposent pourtant sur des techniques de coopération au service de besoins concrets. Dans un autre contexte, elles peuvent être de puissants outils de conception de solutions qui visent d’autres finalités. Encastrer le numérique dans un contexte alternatif permettant à ces finalités de s’épanouir est notre but.

Construire des applications radicalement alternumériques

Malgré l’existence de solides alternatives numériques comme le logiciel libre ou les low-tech, la critique du numérique a de nombreux arguments à faire-valoir : usages énergivores, besoins artificiels, ubérisation, etc. La possibilité qu’un numérique différent puisse émerger est régulièrement remise en question et nous faisons nous même le constat des limites des alternatives actuelles. Mais une critique univoque du numérique n’est pas sans angles morts. Refuser le numérique ne l’empêche pas de prospérer. Notre conviction est que produire un numérique dans un cadre différent de celui proposé par l’industrie capitaliste, un numérique radicalement alternatif, permet de nouvelles opportunités d’inventions.

Notre approche repose sur une critique du numérique face à laquelle nous opposons des convictions :

Nous combattons l**’uberisation,** une exploitation intense par une organisation autoritaire du travail. Nous y opposons la coopération par une organisation démocratique de la production en interne et par une propriété partagée entre les parties prenantes.

Nous combattons la surveillance, un contrôle de la société toujours plus fin par l’exploitation des données personnelles à des fins lucratives ou policières et qui concentre le pouvoir au lieu de le distribuer. Nous y opposons le droit à la vie privée et le refus de l’usage marchand des données personnelles.

Nous combattons le consumérisme, une prolifération de services à faible utilité sociale. Nous y opposons une maitrise d’usage où l’utilité sociale est définie par les usagers eux-mêmes. Loin d’être de simples consommateurs. Ceux-ci sont impliqués dans la conception, mais aussi dans la gouvernance par une propriété collective du code et des serveurs informatiques.